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Quand donner la vie rime avec physiologie, interview de Françoise Maillefer par Sylvie Logean, juin 2012
  • Quand donner la vie rime avec physiologie

Projet-pilote en Suisse, la maternité du CHUV mène une réflexion sur l’opportunité d’implanter une unité de maternité gérée uniquement par des sages-femmes. Inspirée de modèles existants en Angleterre -véritable berceau de la tendance physiologique- mais aussi dans les pays nordiques, en Italie, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande, la nouvelle unité lausannoise aura pour objectif de réaliser des accouchements sans aucune intervention médicale. Centrée sur les besoins de la femme, prônant un retour à l’intime, cette unité de naissance intra-hospitalière aura également pour qualité, de par sa proximité géographique avec la maternité, de pouvoir assurer, en cas de complications, des transferts très rapides et sans l’utilisation de véhicules. Une première, malgré l’existence de modèles quelque peu similaires à Berne, Zurich, Genève et Aigle.

Explications avec Françoise Maillefer, infirmière sage-femme, titulaire d’un master en santé publique et responsable du projet au CHUV.

SYLVIE LOGEAN

Quelle est l’origine de cette démarche ?

Françoise Maillefer : La réflexion à la base de ce projet repose sur toute une littérature scientifique qui démontre que, en termes d’accouchement, l’on a dépassé le point d’efficacité optimale de la médicalisation et que l’on on en subit désormais les effets délétères. En effet, dès les années 50, les femmes se sont rendues à l’hôpital pour accoucher. Ce phénomène s’est logiquement accompagné d’une nette diminution de la morbidité maternelle et infantile, mais aussi d’une augmentation importante des interventions médicales, parfois difficilement justifiables. Notre objectif, avec cette unité, est de limiter au maximum les interventions médicales et le nombre d’intervenants. La patiente sera donc uniquement prise en charge par des sages-femmes et, en cas de complications, celle-ci sera immédiatement transférée à la maternité. De plus, nous constatons que certaines femmes ont d’autres besoins et que le modèle médicalisé ne correspond plus forcément à leurs attentes.

Qui en est à l’origine?

Cela faisait longtemps que la maternité parlait de créer une «maison de naissance», sans que cela ne se concrétise vraiment. Avec un groupe de sages-femmes du CHUV, nous avions envie d’offrir quelque chose de nouveau aux femmes. L’impulsion s’est faite en automne 2010 et la direction de la maternité a dès lors accepté de considérer la réalisation de ce projet au sein de l’hôpital. Une autre forme de validation est arrivée très rapidement par le biais de Promotion Santé Suisse qui a décidé de soutenir financièrement notre projet.

Quels sont les apports d’une telle unité pour la patiente?

L’unité sera centrée sur les besoins de la femme. Nous souhaitons aller vers une prise en charge individualisée afin de pouvoir nous adapter, par exemple, aux différences culturelles de la patiente. Le père pourra être présent en permanence durant les différentes étapes de l’accouchement et également dormir avec sa compagne durant les jours qui suivent. Cela aura un côté très familial.

Cette unité se situera-t-elle dans le service de la maternité du CHUV?

Oui. L’idée serait d’avoir une unité distincte à l’intérieur de l’hôpital, un service complet où l’on accompagne les femmes et leur partenaire pendant la période de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum. Bien que dans l’enceinte du CHUV, il est toutefois indispensable que ce service soit géographiquement séparé des salles d’accouchements de la maternité afin d’éviter toute forme de confusion chez les patientes et le personnel.

Comment comptez-vous donner l’impression aux femmes qu’elles ne se trouvent pas en milieu hospitalier?

L’unité sera aménagée de manière totalement différente d’un service standard. Nous souhaitons que les femmes se sentent comme à la maison et non dans un environnement hospitalier. Tout sera néanmoins prévu pour assurer la sécurité de la mère et du nouveau- né, mais de manière cachée.

D’un point de vue pratique, combien d’accouchements simultanés pourront avoir lieu dans cette unité ?

Nous aimerions disposer de quatre salles d’accouchements qui seront également utilisées pour le post-partum.

Cela limite la capacité d’accueil, non ?

C’est le même problème dans toutes les salles d’accouchement du monde. Il faut gérer les irrégularités de flux. Les sages-femmes savent faire cela. Pour notre part, nous avons établi une projection à 1,5 accouchement par jour en chiffres bruts.

Le suivi de grossesse sera-t-il assuré par les sages-femmes de la structure ?

Oui. La préparation est vraiment importante, il serait donc plus favorable de pouvoir assurer le suivi de grossesse. Si les patientes sont suivies à l’extérieur par leur gynécologue, elles pourront venir dans l’unité à partir de 34 semaines de grossesse. Quant aux femmes qui souhaiteraient faire tout le suivi dans l’unité, elles le pourront également. Le suivi de grossesse, standard, répondra à toutes les normes de sécurité. Les ultrasons se feront au CHUV ou ailleurs.

Il y aura-t-il des critères de sélection pour pouvoir accoucher dans cette unité?

Oui. La patiente devra être en bonne santé, ne pas avoir certains antécédents obstétricaux et la grossesse en cours devra bien se passer.

Vous souhaitez éviter toute médicalisation, comment sera assurée la surveillance fœtale?

Il n’y aura pas de monitoring dans l’unité, afin d’éviter toute tentation de s’en servir. L’alternative à la surveillance par monitoring est l’utilisation du doptone, recommandé par l’OMS pour le suivi des accouchements normaux. Le monitoring est certes très sécurisant pour le personnel médical, mais il a une très mauvaise spécificité et entraîne de facto beaucoup d’interventions qui n’auraient pas été nécessaires. En outre, les parents ont tendance à avoir les yeux complètement rivés sur le monitoring en imaginant que tout en dépend, et quand, par hasard, le bruit du cœur diminue, il se crée alors un stress intense, même si le phénomène est totalement physiologique.

Et sur un plan antalgique ?

L’objectif est de ne pas pratiquer de péridurale, sans quoi nous ne serions plus dans une optique physiologique. Nous ne sommes pas contre, mais c’est un acte médical qui entraîne souvent une succession d’autres actes médicaux. Nous avons notamment imaginé adopter une technique pratiquée en Angleterre depuis plusieurs années dans ce genre d’unité midwife led care unit, à savoir l’entonox, un gaz hilarant. D’autres méthodes alternatives contre la douleur seront par ailleurs également utilisées.

C’est à dire ?

L’usage de l’eau par exemple. Celle-ci à a un rôle très important dans ces unités. En Angleterre, ce sont 80% des femmes qui font une partie du travail dans l’eau et 50% qui y accouchent.

Comment réagissent les sages-femmes face à ce projet ?

Elles sont enthousiastes. Elles se réjouissent que l’on fasse enfin quelque chose de nouveau, que l’on réponde aux besoins des femmes. La seule réserve émise vient des sages-femmes travaillant avec des femmes migrantes, qui proviennent d’une culture où l’accès aux soins médicaux est limité. Pour certaines de ces patientes, en fonction du pays d’origine, la médicalisation est symbole d’élévation du statut social, elles ne sont donc a priori pas adeptes de ce genre d’unités démédicalisées. L’information dans ces cas-là est particulièrement importante.

Les sages-femmes qui travailleront dans cette unité seront-elles propres à la structure ?

Oui. Nous souhaiterions avoir un noyau de sages-femmes spécifiques, qui défendent la philosophie propre à l’unité. Ce qui n’exclut pas la possibilité de tournus de six mois, par exemple.

Ces dernières devront-elles avoir une formation spécifique ?

Absolument. Outre une grande autonomie, les sages-femmes devront pouvoir assumer l’intégralité du suivi de grossesse, de l’accouchement et du post-partum. Il y a également quelques outils que celles-ci devront acquérir en plus, notamment par rapport aux sutures, à l’examen clinique du nouveau-né ou encore à l’accompagnement lors d’un accouchement dans l’eau.

Comment ont réagi les médecins à qui vous avez présenté ce projet ?

Ils sont très favorables à cette idée et reconnaissent comme valable ce modèle basé sur la normalité et la physiologie.

 

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